Le diaconat permanent, alternative au sacerdoce catholique ?
Paru dans les revues Renaissance Catholique n° 150 et 151
Les diacres permanents sont 2650 en France 1. Leur nombre a crû régulièrement depuis que le premier d’entre eux fut ordonné, en 1970. Dans le même temps le nombre de prêtres n’a cessé de diminuer : ils sont aujourd’hui 15 000. Ils seront 10 000 dans dix ans. Il y a là un effet de ciseau qui mérite attention sur ce qu’un confrère religieux appellerait un O.C.N.I., « objet canoniquement non identifié ». Présents dans bien des paroisses, ces diacres célèbrent des mariages, des baptêmes, assurent quelques prédications dominicales et participent aux divers conseils et activités charitables locales.
Il est certain que la grande majorité de ces diacres permanents font preuve de générosité, de zèle, et leurs épouses, acceptant que leurs maris embrassent une telle responsabilité, sont aussi bien édifiantes. Pour autant, il nous semble que ce « diaconat permanent », dans son principe, plus encore que dans ceux qui l’embrassent, est assez critiquable.
Un peu d’histoire
Avant toute chose, le terme même de « diaconat permanent » est mal adapté. Le sacrement de l’Ordre est, en effet, un sacrement à caractère, comme le baptême et la confirmation ; imprimant un sceau dans l’âme, il établit cette dernière en un état inamissible et ne peut être réitéré. Or, le diaconat est un des degrés de ce sacrement 2, le recevoir, c’est recevoir un caractère indélébile dans l’âme, en même temps que l’on est établi dans un « état diaconal » pour l’éternité. Donc, le diaconat est forcément permanent. En revanche, l’histoire nous montre que, dans un premier temps, la fonction diaconale a pu s’exercer exclusivement et de manière permanente, c’est-à-dire sans que la réception du diaconat soit une simple étape préalable à la réception du sacerdoce ministériel.
Le récent concile Vatican II s’est penché sur cette question du diaconat essentiellement à la suite des travaux du « théologien » allemand Karl Rahner. Il ne s’agissait pas d’en préciser éventuellement la nature théologique – le concile de Trente et les théologiens classiques l’avaient fait de manière très satisfaisante depuis longtemps –, cela ne correspondait d’ailleurs pas aux visées « pastorales » de cette assemblée. Non ! La question du diaconat fut abordée pour deux raisons principales : une, évidente, liée à la crise du clergé et des vocations, et, l’autre, moins clairement affirmée, plus subreptice, mais bien présente : la possibilité d’envisager un diaconat conféré à des hommes mariés, première étape en vue de solliciter l’abrogation du célibat sacerdotal.
La diaconie, c’est-à-dire le service concret 3 de la charité de la communauté, trouve son origine dès les Actes des Apôtres : « Les Apôtres pour rester fidèles au service de la Prière et de la Parole choisissent sept hommes estimés de tous, remplis d’Esprit Saint et de sagesse pour lesquels ils prient et sur lesquels ils imposent les mains pour qu’ils assurent d’une manière équitable le service des tables » (Ac. VI, 1–6). Les diacres sont donc établis par les Apôtres, afin que ces derniers, qui jusqu’alors exerçaient par eux-mêmes ce service, puissent se concentrer sur la tâche plus digne que constitue le culte.
Cette proximité originelle entre les Apôtres – et leurs successeurs – et les diacres fera de ces derniers les collaborateurs naturels des évêques et de leur presbyterium 4 en particulier dans l’administration temporelle de l’Église naissante. Mais l’Église est ordonnée au bien des âmes, à cause de Dieu, qui est la source et la fin de toute Charité surnaturelle. Le temps, l’évolution organique de la pratique sacramentelle de l’Église, au moins latine, finiront par établir le diaconat comme une simple étape avant la réception du sacerdoce : configuré au Christ-Tête, le candidat au sacerdoce est préalablement configuré au Christ-Serviteur.
Le récent concile
Le 30 octobre 1963, à l’occasion de la discussion du schéma sur l’Église, qui deviendra la constitution dogmatique Lumen Gentium, le cardinal Suenens, primat de Belgique et l’une des têtes de ce que l’on a appelé « l’axe rhénan » (les évêques français, allemands, ceux du Bénélux), prend la parole dans l’aula conciliaire pour demander l’instauration d’un diaconat permanent.
Dès le départ, il présente cette idée comme la résurrection d’un ordre qui aurait disparu : à plusieurs reprises, il prétend qu’il s’agit de « restaurer le diaconat », de « restauration de cet ordre sacré », etc.
Finalement, après bien des discussions, en septembre 1964, le paragraphe suivant est mis aux voix, et adopté 5 : « Comme la discipline actuellement en vigueur dans l’Église latine rend difficile, en plusieurs régions, l’accomplissement extrêmement nécessaire à la vie de l’Église de la « diaconie » de la liturgie, de la parole et de la charité, en communion avec l’évêque et son presbyterium, le diaconat pourra, dans l’avenir, être rétabli en tant que degré propre et permanent de la hiérarchie. (…) Si le Pontife romain y consent, ce diaconat pourra être conféré à des hommes mûrs, même mariés, ainsi qu’à des jeunes gens aptes à cet office, mais pour lesquels la loi du célibat doit demeurer ferme. »
De ce texte, on tire plusieurs conclusions. Il est possible désormais – mais cela existait déjà, au moins per accidens – d’être ordonné diacre mais pas en vue de recevoir le sacerdoce, et, autre point, ces diacres peuvent posséder deux caractéristiques : soit les candidats à ce diaconat permanent sont des « hommes mûrs », et en ce cas, la loi du célibat, qui s’impose en principe dès le sous-diaconat, peut ne pas s’appliquer, et, si le candidat est jeune, alors la loi du célibat doit être conservée.
L’intervention de Paul VI
Le texte adopté devait ensuite être mis en œuvre. Paul VI intervint donc, après la réunion de divers congrès et commissions d’étude, par le biais du motu proprio Sacrum diaconatus ordinem, du 18 juin 1967 6.
Rappelant les décisions conciliaires et manifestant son enthousiasme sans mélange pour l’idée de cette « restauration », le Pape énonce les règles propres à l’ordre du diaconat, lorsqu’il est reçu, non par des candidats au sacerdoce, mais par des hommes appelés à servir dans la fameuse diakonia.
Une grande latitude est laissée aux conférences épiscopales pour l’organisation de ce « nouvel ordre dans l’Ordre ». Néanmoins, le Pape fixe quelques règles incontournables : en particulier, le diaconat permanent ne peut-être conféré à un homme de moins de 25 ans, et seuls les hommes « d’âge plus avancé » peuvent être ordonnés, même s’ils sont mariés 7. En revanche, comme le récent concile le précisait, les hommes jeunes sont tenus de garder la loi du célibat (Id., n. 6.). La différence entre un « jeune » et un « moins jeune » ? Pour le diaconat permanent, on est jeune de 25 à 35 ans, et vieux à partir de 35 (Id. n. 11.).
Les raisons de ce diaconat permanent ? Le cardinal Suenens les avait affirmées, et ses arguments sont repris par les divers textes conciliaires que nous avons évoqués :
« La question n’est pas d’attribuer d’une façon quelconque à un fidèle quelconque des charges extérieures (par exemple la présidence des réunions de prières, l’enseignement du catéchisme, la responsabilité de certaines œuvres sociales). Ces charges doivent être attribuées seulement à des personnes qui, d’une façon objective et adéquate, possèdent les grâces nécessaires pour les occuper, de sorte que l’efficacité surnaturelle ne puisse faire défaut au moment de créer une véritable communauté. (…) Quels que soient les dons et les grâces dont puissent être dotés de simples laïcs rénovés par les sacrements du baptême et de la Confirmation et ravivés par un esprit surnaturel et authentique, ces dons ne suffisent pas. »
Sans faire de procès d’intentions, pour un concile qui prétendait « décléricaliser » l’Église, le moins que l’on puisse dire est que ces propos sont tout à rebours, et manifestent un mépris du « simple laïc », bien loin des discours sur la dignité baptismale qui sont un des leitmotivs de tous les textes du concile.
Le motu proprio de Paul VI, quant à lui, énumérant les fonctions dévolues aux diacres8, mentionne régulièrement leur rôle liturgique – célébration des baptêmes, mariages, viatique, prédication, funérailles, etc. – en ajoutant : « Là où il n’y pas de prêtre », ce qui laisse penser que le Pape ne souhaite pas que le diaconat permanent soit autre chose qu’une « force supplétive », destinée, exceptionnellement, en l’absence d’un prêtre, à assurer une présence cultuelle aux fidèles qui en seraient privés.
Le reste des fonctions est présenté comme un service à la communauté : œuvres sociales, soutien à l’apostolat des laïcs, etc. Toutes choses que M. X ou Mme Y. assumaient jusqu’alors sans avoir besoin de recevoir le sacrement de l’Ordre. Mais, selon le cardinal Suenens, c’est bien dans une perspective surnaturelle que la proposition du diaconat permanent est faite : le caractère imprimé dans l’âme de l’élu, est en effet un « pouvoir spirituel » qui le rend apte et le députe, ex officio, certes à distribuer la communion et à lire l’Évangile mais aussi à ouvrir la porte de l’église, faire le tri des vêtements à la Conférence Saint-Vincent-de-Paul, et aider à tenir les comptes de la paroisse…
Il n’est pas anecdotique de noter que si le curé est amené à changer de paroisse le diacre permanent est, lui, sédentaire sur sa paroisse. Il en connaît l’histoire, les familles, une partie des secrets plus ou moins cachés. Il ne peut pas, quelle que soit son humilité et sa bonne volonté, ne pas devenir une forme de contre-pouvoir à celui du curé. Il est d’ailleurs très probable que c’est vers lui que se tourneront les éventuels insatisfaits qui le connaissent depuis longtemps.
Théologiquement, du moins sous le rapport du rôle liturgique, il semble que les perspectives rhénanes et romaines ne se soient pas rencontrées…
Car il faut bien réaliser plusieurs choses : sous prétexte de surnaturaliser certaines fonctions utiles au bien de l’Église, on a prétendu qu’il convenait de conférer un Ordre, le diaconat, qui rend plus fécond et plus conforme à la volonté divine, la réalisation d’actions certes utiles, mais triviales.
Cette manœuvre permettait surtout deux choses : dé-sacerdotaliser l’exercice du culte, d’une part, et, d’autre part, introduire de manière subreptice l’idée que la cléricature peut être dissociée de la loi du célibat, non seulement dans la pratique, comme l’usage ancien – mais pas apostolique – des Églises orientales le montre, mais également dans les principes.
Laïcalisation du sacrement de l’Ordre
Avant même de parler de l’une des conséquences désastreuses de cette initiative, il faut constater que l’admission d’homme mariés au diaconat, au moins dans l’ordre pratique, conduit très naturellement à une laïcalisation, ou, plus justement, une « profanation » du sacrement de l’ordre, au sens premier et le plus exact du terme.
En raison de sa dignité, le sacrement de l’Ordre, particulièrement en ses derniers degrés, les ordres majeurs, consacre le candidat, c’est-à-dire, le sépare du monde, dans lequel, certes, il continue à vivre, mais auquel il renonce, pour le Royaume des Cieux.
C’est précisément en cela que s’opère la summa distinctio entre clercs et laïcs, non que ces derniers, comme semble le croire nombre d’entre eux, soient une « sous-catégorie » de chrétiens, mais, par volonté divine : quelques-uns sont appelés à se détacher de ce corps, pour en intégrer un autre, aux exigences différentes, en vue d’être donnés au peuple chrétien, de le nourrir du Pain de Vie, de la saine doctrine et des sacrements.
Or, par le choix d’hommes vivant dans le monde, comme des gens du monde, avec des gens du monde, on renonce à cette séparation, qui sacralise le sacrement de l’Ordre, et ordonne entièrement au salut des âmes, sans que les attaches humaines ne constituent un quelconque obstacle à sa mission, laquelle ne peut être envisagée comme une mission intérimaire : comme la réception du sacerdoce sacerdotalise le nouvel ordonné, de même, la réception du diaconat diaconise l’ordinand… où l’on voit déjà la nécessité du célibat consacré en vue de l’exercice plénier du ministère, comme nous le verrons plus loin.
La conséquence naturelle de cette profanation du diaconat est la perte du sens et de la juste connaissance du ministère sacerdotal. À quoi peut bien servir un prêtre, puisque toutes les œuvres extérieures peuvent être assumées par un diacre, et même les quelques sacrements et sacramentaux qui intéressent quelque peu le bon peuple déchristianisé : le baptême (pour faire plaisir à la grand-mère, et puis c’est la tradition), le mariage (pour les photos, les dragées, et la robe), et les funérailles (parce qu’« on n’est pas des chiens ! »).
Dé-sacerdotalisation de la vie de l’Église
Ils ont beau s’en défendre, les promoteurs de l’introduction du diaconat permanent, ont oublié depuis longtemps ce que présentait le primat de Belgique comme cause première de cette nouveauté : le don d’un caractère qui sacralisait, en quelque sorte, l’œuvre accomplie par ces hommes, et lui donnait un « poids » surnaturel autrement plus fort que l’œuvre accomplie sous le seul influx de la charité surnaturelle.
Il devenait alors évident que les fonctions dévolues au diacre étaient, par leur nature, détachables de la fonction sacerdotale. Dès lors, le prêtre auquel le soin de la paroisse est confié, qui en est le curé, se trouve le plus souvent réduit à n’être que celui qui accomplit des tâches que le diacre ne peut remplir : célébrer la messe et confesser. Tout le reste, c’est-à-dire l’administration de la sainte eucharistie, les baptêmes, les mariages, les funérailles, la prédication, la visite des malades, l’administration de la paroisse, son unité, la direction de la prière commune… peut être accompli par les diacres, qui, tout auréolés de leur caractère diaconal tout neuf, sont devenus presque naturellement non plus les « supplétifs » du curé, mais ses suppléants.
Dire la messe et confesser, voilà certes l’essentiel pourrez-vous objecter ? Il ne s’agit pas tant de répartition des tâches que d’ordre ! Dans la vie du prêtre, et spécialement du curé de paroisse, tout est ordonné au salut des âmes qui lui sont confiées, non seulement les sacrements – et le baptême est le premier d’entre eux – mais aussi toutes les œuvres extérieures qui sont comme l’expression de la charité pastorale de l’Église, par le prêtre, manifestée au peuple de Dieu.
Plus clairement, on ne peut prétendre séparer les actions extérieures des actions proprement sacramentelles : elles forment un tout, et toutes, à des degrés variés, sont l’expression de la même charité. Les disjoindre, de manière si artificielle, c’est finalement séparer l’ordre surnaturel de l’ordre naturel, qui, s’ils sont effectivement distincts, n’en sont pas moins, en raison de la grâce divine, organiquement unis.
L’arrivée dans les paroisses, dès 1970 en France, de ces diacres permanents, eut naturellement les effets que les ennemis du sacerdoce catholique en attendaient : puisque les diacres prennent en main les choses les plus contraignantes qui appartiennent au ministère habituel des curés, pourquoi ces derniers se donneraient-ils désormais la peine de s’occuper eux-mêmes des malades et indigents, de la paroisse ? Pourquoi auraient-ils à enseigner eux-mêmes par la prédication, leurs ouailles ? Pourquoi se donneraient-ils la peine de préparer les baptêmes et de les célébrer, ou de recevoir les fiancés et de les unir ? Le diacre peut le faire, et, pour se donner bonne conscience, on peut se recommander, non seulement de la lettre de l’évêque qui donne mission officielle au diacre, mais encore, de l’ordre sacré dont il est revêtu, et qui vaut toutes les lettres épiscopales : Dieu Lui-même l’a établi pour cette mission…que dire de plus ! On ne peut que s’interroger à propos de l’impact psychologique de ces attitudes sur des jeunes gens se posant la question de la vocation sacerdotale et légitimement rebutés par les exigences du célibat ecclésiastique. Pourquoi renoncer aux joies légitimes d’une vie de famille si quasiment toutes les fonctions et responsabilités du prêtre sont accessibles par la voie du diaconat permanent ?
Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que le nombre de vocations baisse en même temps que le nombre de diacres permanents augmente ! 9 Quoi de moins enthousiasmant que de répondre à l’appel de Dieu pour être au mieux le gardien d’une église et d’un secrétariat, si la vie du prêtre n’est que cela ? La perte de la valeur incommensurable de la célébration de chaque messe joue également certainement un rôle dans la crise générale des vocations sacerdotales. Si bien que, faute de prêtres, les évêques préfèrent ordonner de nouveaux diacres permanents, comme s’ils ne voyaient pas qu’il ne s’agit pas là d’un remède, mais d’une des causes de la désertion des séminaires, et comme s’ils ignoraient que la perfection sacerdotale se trouve dans la célébration du sacrifice eucharistique et la disposition des âmes à le recevoir 10.
Sur ce chapitre, remarquons que le magistère récent semble oublier l’idée que le diaconat a été ressuscité au point de redevenir un degré autonome, détaché de la perspective de la réception ultérieure du sacerdoce : dans la Ratio fundamentalis de 2016 11, de la Congrégation du Clergé, relative à la formation des prêtres, il est explicitement dit : « On ne devra admettre aucun diacre ad experimentum. Une fois reçue l’ordination diaconale, l’idonéité au presbytérat est supposée (…) ». C’est-à-dire : un diacre est destiné à l’ordination sacerdotale. Dans le cas contraire, on ne l’ordonne pas diacre.
Un cheval de Troie contre le célibat ecclésiastique
Salva reverentia, il y a quelque chose de profondément risible à prétendre que les hommes pour lesquels la loi du célibat doit continuer à s’imposer sont les « jeunes » de 25 à 35 ans, les autres étant des « vieux », auxquels, par exception, on pourra conférer l’ordination diaconale malgré leur mariage.
Ce qui était important, c’était, nous l’avons dit, de séparer l’appartenance à la hiérarchie sacrée, dont les derniers degrés sont précisément le diaconat et le sacerdoce, et le célibat que, depuis l’âge apostolique, l’Église a établi comme règle 12, laquelle connaît des exceptions, pour des raisons circonstancielles, que l’Église supporte 13 mais n’encourage pas, dans sa partie orientale.
En établissant de manière arbitraire l’âge auquel on est en droit d’exiger le célibat consacré des diacres permanent, et l’âge à partir duquel cette exigence n’existe plus, on réduit la continence et chasteté parfaites « pour le Royaume des Cieux » (Mat. XIX, 12), à une pure question disciplinaire, susceptible non seulement de variations mais encore de disparition. Et rapidement, ce qui est dit des diacres sera également dit des prêtres (et l’est déjà !). La boucle est bouclée, au mépris de la tradition apostolique et des fondements scripturaires, théologiques ou ascétiques du célibat consacré embrassé par les clercs.
L’expérience et les statistiques qui en rendent compte, montrent que le diaconat permanent s’adresse bien, in concreto, à des gens déjà unis par les liens du mariage. On peut, sans se tromper, imaginer que les prochaines discussions sur la crise des vocations, en particulier à l’occasion du futur synode des évêques portant sur la jeunesse, évoqueront l’accession de viri probati, d’hommes éprouvés, quoique mariés 14, au sacerdoce 15 ! Pourtant, les Orientaux ne cessent de souligner les difficultés de cette situation : juste place dans la communauté de la femme et des enfants du prêtre, préoccupation de la vie matérielle de la famille, etc. qui viennent s’ajouter, nous l’avons dit, à la rupture avec la règle apostolique du célibat.
Encore une fois, ce célibat volontairement embrassé par les candidats au sacerdoce, dès le sous-diaconat, n’est pas une question disciplinaire : il rend compte de cette totale donation de l’être, à Dieu, en vue de remplir la fonction sacrée qu’Il demande, c’est-à-dire la sanctification des hommes en vue du Royaume de grâce et de vérité. Il y a une vraie dimension eschatologique dans l’exigence du célibat consacré : en en faisant un simple accident du sacrement de l’Ordre, on contribue à la profanation de ce dernier, et au mépris toujours croissant pour une vocation de moins en moins comprise, puisque rien ne distingue, dans ses activités mesurables, un diacre d’un prêtre, et même un diacre d’un pieux laïc. Comment cela est-il possible avec un diacre qui travaille, est marié, a des enfants, etc. ?
Plus d’inconvénients que d’avantages
Finalement, cette résurrection du diaconat dit « permanent », présente plus d’inconvénients que d’avantages. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’extrême générosité de ces diacres permanents, et de leurs familles, qui acceptent de consacrer du temps à la mission que leur a confiée leur évêque et manifestent ainsi une courageuse visibilité chrétienne dans leur milieu professionnel et familial. Cependant il est un fait que la mission des diacres se superpose avec celle des pasteurs que sont – ou devraient être… – les prêtres. De plus la présence constante des diacres dans le tissu social, non comme extérieurs à lui, mais comme acteurs, expose, à travers eux, l’Église, à une attention particulièrement scrupuleuse de la part de leur entourage. Il est également à craindre qu’une formation intellectuelle souvent lacunaire – les études d’un séminariste durent 6 ou 7 ans à temps plein – ne rende la majorité des diacres permanents incapables de remplir convenablement leurs tâches : prédications, célébrations des sacrements trop souvent occasion d’étaler une indigence intellectuelle et/ou doctrinale confondante, sans parler de l’exemple de leur vie, quelquefois désastreux, ou de leur rôle d’éducateur vis-à-vis de leur propre progéniture ! 16
Il est à craindre que ce diaconat permanent, nonobstant la bonne volonté des impétrants, ne soit un « coup pour rien » qui ne portera remède ni à la déchristianisation en profondeur de nos sociétés ni à la crise du sacerdoce. Il n’est pas non plus défini comme un moyen particulier de sanctification de ses titulaires. « Tout ça pour ça » aurait-on envie de conclure…
Gaspar de Quiroga
Notes
- Source : site du diaconat permanent en France, consulté le 18 octobre 2017 : http://diaconat.catholique.fr/
- Qui comporte 7 degrés : 4 ordres mineurs (ostiariat, lectorat, exorcistat et acolytat), 3 ordres majeurs (sous-diaconat, diaconat et sacerdoce, ce dernier se subdivisant, dans une perspective classique, en sacerdoce du premier et du second ordre, l’épiscopat).
- Comme diraient les modernes, comme si prêcher la foi aux ignorants n’était pas un acte charitable…
- Et pas uniquement de l’évêque, comme on le laisse fréquemment entendre. La constitution dogmatique du IIe concile du Vatican Lumen gentium, le dit d’ailleurs explicitement, au n. 29 : « Au degré inférieur de la hiérarchie, se trouvent les diacres auxquels on a imposé les mains « non pas en vue du sacerdoce, mais en vue du service ». La grâce sacramentelle, en effet, leur donne la force nécessaire pour servir le peuple de Dieu dans la « diaconie » de la liturgie, de la parole et de la charité, en communion avec l’évêque et son presbyterium. »
- IIe concile du Vatican, constitution dogmatique Lumen Gentium, n. 29. Le principe de la « restauration » du diaconat comme « état permanent », c’est-à-dire, sans qu’il soit prévu et envisagé de conférer le sacerdoce à son titulaire, est adopté par 1903 voix contre 242, la possibilité d’ordonner des diacres engagés dans les liens du mariage est, quant à elle, adoptée avec 1598 voix, 629 y étant opposées. D’autres mentions de cette décision se retrouveront dans le décret Ad Gentes, n. 15 & 16, le décret sur les Églises orientales Orientalium Ecclesiarum, n. 17 – invitées également à « restaurer » la permanence du diaconat… signe que cette pratique leur était également inconnue depuis longtemps –, la constitution sur la Révélation divine, Dei Verbum, n. 25, celle sur la liturgie, Sacrosanctum Concilium, n. 35 & 68.
- Voir Diacres de Jésus-Christ, textes choisis par les moines de Solesmes, Ed. Le Sarment-Fayard, Paris 1991.
- Motu proprio Sacrum diaconatus ordinem, n. 5 & 11.
- S. Jean-Paul II, Le diaconat permanent, signe visible de l’œuvre accomplie par l’Esprit-Saint, discours à des diacres permanents, Détroit (États-Unis), 19 septembre 1987 : « Si nous considérons la profonde nature spirituelle de cette diaconie, alors nous pouvons mieux apprécier la relation qui existe entre les trois domaines du ministère traditionnellement associés au diaconat, c’est-à-dire le ministère de la parole, le ministère de l’autel et le ministère de la charité. »
- Contrairement à ce que prétendaient les promoteurs de cette idée. On a d’ailleurs pu en constater d’autres exemples, relevés par le Saint-Siège lui-même. Voici comment Sandro Magister, célèbre vaticaniste italien, décrit les choses (http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/135119175af.html?fr=y) : « Pendant les quarante ans d’épiscopat – de 1959 à 2000 – de l’évêque Samuel Ruiz García, le diocèse de San Cristobal de Las Casas (Mexique) était devenu un terrain d’expérience, observé par beaucoup de parties du monde, en vue de la création d’un clergé indigène marié. L’étape significative conçue pour atteindre cet objectif fut l’ordination, dans ce diocèse, d’un très grand nombre de diacres indigènes mariés, dont on prévoyait que, un jour, ils pourraient aussi être ordonnés prêtres. (…) Sous le pontificat de Jean-Paul II, Rome portait sur l’expérience un regard défavorable. (…) et après un examen de l’affaire confié aux principaux dicastères de la curie, la congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements interdit, le 20 juillet 2000, l’ordination de diacres supplémentaires dans ce diocèse. (…) Rome déplorait le fait que « au cours des 40 dernières années, 8 prêtres seulement avaient été ordonnés dans le diocèse de San Cristobal de Las Casas, contre plus de 400 diacres ». » Malgré la levée de cette interdiction par le pape François, en mai 2014, le nouvel évêque se réjouit non seulement de la fin de « l’expérience diaconale », mais aussi que son séminaire soit de nouveau « attractif » : « Nous ne voulons pas un clergé marié. Cette idée avait été envisagée précédemment, mais on n’y pense plus aujourd’hui. Le développement de notre séminaire est une grâce inexplicable. Il y a seize ans, en 2000, il y avait 20 séminaristes. Aujourd’hui ils sont 76, presque tous originaires du Chiapas, dont 42 sont indigènes, sans préjugés idéologiques en ce qui concerne le célibat. Nous avons déjà 8 prêtres indigènes célibataires conformément aux règles. Les diacres mariés ne m’ont jamais indiqué qu’ils aspiraient à un sacerdoce marié. »
- Dans le même esprit, on peut aussi se référer à ce que disait le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris et président de la conférence épiscopale française (https://www.paris.catholique.fr/intervention-du-cardinal-andre-29654.html), lors d’une intervention devant de jeunes évêques. Il explique qu’il y a peu de vocations sacerdotales mais qu’au regard du nombre de pratiquants, c’est suffisant. C’est ainsi réduire le rôle du prêtre à peu de choses, puisque désormais, il est le prêtre des catholiques, et pas celui de tous ceux qui devraient l’être ! On est loin de la fameuse « nouvelle évangélisation », dont on nous abreuve depuis près de quarante ans !
- Congrégation du Clergé, Ratio fundamentalis institutionis sacerdotalis – Le don de la vocation presbytérale, 8 décembre 2016, n. 209.
- Stickler (Cal A.-M.), Le célibat des clercs, Éditions Téqui, 1998.
- Comme on supporte une grippe : la maladie s’oppose à la bonne santé, mais on n’a guère de pouvoir sur elle, donc on prend un grog et…on attend que ça passe !
- À moins qu’ils ne soient éprouvés parce que mariés !?
- Relire Sandro Magister (cf. note 9) qui rappelle que le Cardinal Martini, alors archevêque de Bologne, affirmait en 1999 que « le manque de ministres ordonnés était le premier des « thèmes essentiels » » qu’il « souhaitait voir discutés par une Église qui aurait été en état de synode permanent. La solution à ce problème étant bien évidemment, de manière sous-entendue, celle qui aurait consisté à ajouter des prêtres mariés aux prêtres célibataires dont le nombre était en déclin. »
- Nous connaissons quelques exemples de diacres pour lesquels la transmission de la foi à leurs enfants n’est pas une obligation, et même certains qui ne pratiquent pas le dimanche…
L’effet de ciseau entre la courbe de croissance de diacres permanents et des prêtres, n’est vrai que pour la tendance.
Numériquement, on a + 2650 diacres depuis 1970, mais pour les prêtres, depuis 1970, on en a perdu combien ? 15000, 20000 ?
En tout cas, merci pour ce texte qui fait le tour de tous les aspects de la question. La note 9 est impressionnante ; en poussant la logique du diaconat permanent, on tue l’Église !
Article remarquable. Merci infiniment à l’auteur et à « Renaissance catholique » qui nous l’offre.
Deux remarques anecdotiques sur les diacres permanents.
– Lorsqu’il y eût l’affaire Gaillot – l’évêque d’Evreux qui contredisait officiellement le Pape (saint) Jean-Paul II en matière de Foi et de Morale avec un fort soutien médiatique – et que le même Pape le déposa de sa charge au bout de dix ans, la moitié des diacres permanents français soutinrent Mgr Gaillot et beaucoup manifestèrent en sa faveur devant les évêchés…
– Les diacres permanents qui n’ont pas grand chose à faire pendant les messes, agacent beaucoup de fidèles en lançant à la cantonade le « donnez-vous la paix » en un geste souvent théâtral, alors que ce « baiser de paix » (appelé aussi « bisou de paix ») est facultatif et est donné à la discrétion du prêtre célébrant, le rendant ainsi obligatoire et incontournable.
Ab. Laffargue
Je regrette amèrement la diminution effroyable du nombre de prêtres depuis ce funeste concile, je regrette amèrement ce nombre effarent de prêtres qui ont « défroqués » suite à tant d’innovations au sein de notre EGLISE. Suppression de tant de paroisses donc de tant d’enseignements des catéchismes , donc de tant d’enfants qui n’apprennent plus à connaître ni DIEU ni son Eglise. Il ne faut pas s’étonner que notre société se soit déchristianisée au point que notre Pays, La France, soit devenu une » Terre de Mission ».
Ce n’est pas l’instauration du diaconat qui va changer quoi que ce soit. Je considère que le diaconat est une demie mesure , il fait nombre. L’augmentation de ces derniers est à peu près égale au nombre de prêtres qui « disparaissent » chaque année des statistiques. On peut donc se dire : il n’y a rien de perdu puisque le nombre reste stable.- le nombrez change peu mais la qualité n’est plus au rendez-vous – un diacre ne remplacera jamais un prêtre. Le prêtre nous confesse, le prêtre célèbre la Sainte Messe, le prêtre nous donne le corps de notre Seigneur Jésus-Christ.
Comme nous avons toujours prié en famille avec nos enfants : « mon Dieu donnez-nous beaucoup de prêtres et beaucoup de saints prêtres ».
Article en effet remarquable et à adresser aux Evêques ainsi qu’à ceux qui se préparent au diaconat. Dans mon diocèse, on a ordonné des militants syndicalistes qui sont loin de professer le Credo et s’abstiennent du précepte dominical ; l’ordination avait été crée du remous. Quand à l’envergure intellectuel de pas mal de diacres, elle laisse à désirer. j’en connais deux qui sont des illettrés mais de brave types. Une question que l’on doit se poser, pourquoi le diaconat a disparu dans l’histoire de l’Eglise ? et pourquoi le Concile de Trente en parle me semble t-il mais la recréation n’a pas eu lieu ?